Mariage coutumier : Quand le «jébelé », le «laabaan» perdent de leur charme

Par , publié le .

Culture

« Le jebele », « le laabaan », des pratiques bien ancrées dans la société traditionnelle sénégalaise, commencent à s’enliser dans les méandres de l’oubli. Des esprits écarquillent leurs yeux à l’évocation de ce mot qui fait défiler des souvenirs bien lointains. Ils repensent à cette époque où la virginité de la femme était considérée comme sacrée, elle était instituée en norme et mettait en relief des valeurs ancestrales.

Le « jébelé », le « laabaan », des expressions très usitées dans nos sociétés traditionnelles qui symbolisent, de nos jours, des pratiques à l’abandon. La société sénégalaise qui s’est bien adaptée à la modernité a fini par jeter un voile pudique cette cérémonie qui accompagnait la nuit nuptiale, célébrée sur fond de tambours et de tam-tam en vue d’honorer la femme qui a su préserver sa virginité jusqu’au mariage.

Des jeunes esquissent un sourire dédaigneux à l’évocation d’une pratique caduque considérée, d’ailleurs, comme contraire aux valeurs islamiques en ce sens que la religion musulmane tient à préserver l’intimité du couple. Le mariage doit revêtir, selon ses enseignements, un caractère discret.

Si ces aspects du mariage coutumier sont en passe d’être rangés aux oubliettes, des esprits sont encore nostalgiques de cette belle époque, où la tradition africaine était bien valorisée, avec une approche fondée sur le respect de la femme, qui ne méritait guère d’être traitée en objet sexuel.

Parmi ces personnes nostalgiques, une dame Adjara Mbaye. Chanteuse de « laabaan », elle s’est construit une notoriété dans la région de Thiès, où elle habite mais aussi à Dakar, où elle a pu initier de jeunes dames à cette pratique. Une expression découragée de son visage se lit lorsqu’elle cite Fatou Sy Samb, Diakhao Samb, Awa Ndiaye, Khady Mboup qui ont pris le relais mais qui peuvent rester une année sans être sollicitées pour ces services.

C’est avec un air affairé, une voix étreinte par l’émotion qu’elle raconte, pour autant, ces moments « magiques » qui célébraient, à ses yeux, l’honneur conjugal. Des tam-tams qui étaient convenus, en l’occasion, pour l’honneur de la mariée mais aussi pour celui de sa mère.

Elle rappelle que la maman, honorée et soulagée,n’était plus maitresse de ses gestes sous le coup de l’émotion. Elle était disposée à casser la tirelire pour témoigner sa gratitude à sa fille qui a su préserver sa virginité. Ce après que les chanteuses de « laabaan » ont annoncé la nouvelle après avoir squatté toute une nuit de noces la chambre des mariés.

« C’était une sorte de délivrance pour la mère de la jeune mariée. Le domicile conjugal était pris d’assaut par une meute de griots et des tantes paternelles. Tous guettaient le pagne blanc maculé de sang pour chanter les louanges de la jeune mariée et de sa maman. C’était des moments inoubliables pour les parents. Notamment pour la maman qui nageait dans la béatitude ».

La fierté des parents était, raconte-t-elle, contagieuse, de sorte que la foule excitée ne pouvait se retenir au retentissement des tam-tams accompagnés par des discours motivants des chanteuses de « laabaan » souvent teintés de propos qui frisent l’obscénité. « On en profitait pour faire du leumbeul, du tassou et chantait les louanges de la famille. Chaque parent voulait, rappelle-t-elle,vivre ces moments intenses, qui les glorifiaient aux yeux de leurs pairs ».

Par ailleurs, c’était aussi une belle occasion de se frotter les mains.  «Les mamans étaient capables d’offrir leurs bijoux en or et leurs tenues de valeurs aux griots, tantes paternelles et autres proches pour manifester leur joie» raconte-t-elle. Elle a été obligée de ranger, depuis belle lurette, sa tenue de chanteuse de « laabaan » et se lancer dans le commerce depuis son retour de la Mecque, en raison de profondes mutations subies par la société sénégalaise.

«Nous ne sommes plus sollicitées pour ces rituels. Depuis que les jeunes ont pris l’option de célébrer leurs nuits de noces dans les hôtels, ces pratiques n’ont plus droit de cité. Il faut souligner qu’un asservissement des valeurs s’est opéré depuis que les jeunes filles ont commencé à composer avec des hommes autour d’une théière. A notre époque, elles restaient scotchées à l’ombre de leur maman ».

Pour Adjara Mbaye, ces pratiques avaient pour unique objectif de préserver la valeur de la femme, de la mettre à l’abri des dépravations. Toujours est-il  que ces festivités ont inspiré des appréhensions et des nuits blanches à celles qui n’ont pas pu « se tenir tranquille » avant le mariage. Pour autant, la dame Adjara Mbaye rassure : les filles qui n’ont pas eu la chance d’exhiber leur virginité, n’étaient pas vilipendées. « Il pouvait arriver que des hommes couvrent leur épouse du voile de « soutoura » (pudeur) mais nous n’étions pas dupes, nous avons la capacité de décoder des messages ». Pour elle, c’est la maman qui se retrouve couverte de honte toute sa vie avec une nouvelle qui finit toujours par s’ébruiter.

La virginité évitait une dépréciation de la valeur de la femme selon les sociologues

Elle semble révolue cette époque où la société se donnait les moyens d’encadrer la sexualité des femmes. Des sociologues se sont penchées sur cette thématique se questionnant sur la place des enseignements traditionnels dans nos sociétés modernes.

Si pour le sociologue Moustapha Wone, des pratiques comme le « jébelé, le « khakhtar », le « labaan »,  visaient, entre autres, l’embrigadement des femmes, dans une optique d’établissement d’une paternité sure et certaine, sa perception diffère de celle de sa collègue Selly Ba.

Moustapha Wone estime que ces pratiques avaient comme fonction d’officialiser l’état de virginité de la femme au moment du mariage afin que l’on puisse savoir et se mettre dans la certitude que tous les enfants qu’elle aura, sont véritablement des enfants issus de ce mariage et donc que ce sont les enfants de son mari, indubitablement. « Les femmes servaient, si on peut dire, de monnaie d’échange dans les sociétés traditionnelles, il fallait se donner toutes les garanties pour éviter sa dévaluation, ou sa dépréciation, ou même son inflation ».

Pour Selly Bâ, ces pratiques qui ont subi des mutations, à l’image de nos sociétés, ont eu le mérite de contribuer à l’éducation des jeunes filles. « La virginité revêt une importance capitale, car elle représente le quitus d’entrée dans le couple conjugal légitime et dont l’intégrité de l’hymen constitue la preuve inéluctable. Sa préservation par la jeune fille jusqu’au mariage est un gage de sérieux, de bonne réputation. L’exposition de la preuve de la virginité de la jeune fille constitue un rituel qui bien que de moins en moins fréquent, se traduit par l’étalage du drap taché de sang, pratiqué lors de la célébration de la nuit nuptiale, communément appelée « laabaan».

Elle ajoute : « cette nuit nuptiale n’est pas tout simplement une affaire d’une ou de deux personnes mais de toute une communauté. S’il arrive qu’une fille reste vierge jusqu’au jour de son mariage, c’est le tam-tam matinal qui la réveille accompagné des chants des griots. La joie et l’honneur envahissent ses parents et  la belle famille,  au cas contraire, le déshonneur et la honte te poursuivront à jamais. Et dans cette société sénégalaise actuelle subissant le vent de la modernité où  nous vivons certaines personnes se demandent si cette pratique a  toujours sa place ? »

Une question soulevée par le Dr Selly Ba qui garde toute sa pertinence dans la mesure où selon Moustapha Wone, dans« des sociétés où les maris ou les pères n’existent pas, on n’a pas noté ces pratiques de « jébelé » et de « khakhtar ». Ces sociétés n’accordent aucune importance à la virginité d’une femme. Au contraire, une femme doit montrer qu’elle est féconde avant d’entrer dans un mariage quelconque ».

Mais un paradoxe subsiste : parmi les jeunes filles, qui tournent « en dérision » cette pratique, bon nombre ont recours à des pratiques chirurgicales pour retrouver leur virginité. Le Dr Selly Ba conforte cette thèse : « le fait  d’avoir des relations intimes en dehors du mariage ne représente plus un danger pour certaines jeunes dakaroises, avec les nouvelles techniques médicales comme l’hymenoplastie ». 

 L’hymenoplastie ou le prix d’une virginité perdue

Cette opération chirurgicale qui a permis à des jeunes filles « sevrées » d’hymen à la naissance de saigner lors de leur première nuit de noces est de plus en plus usitée par des jeunes filles désireuses de gagner le respect et la confiance de leur époux. De la poudre aux yeux qui a réussi à bon nombre d’adeptes de cette pratique dans l’obligation de consommer le mariage au maximum deux semaines après l’opération. Selon des sources, il faut décaisser au minimum 200 000 F Cfa pour se reconstruire une virginité. Le corps médical rechigne à se prononcer sur une opération chirurgicale pratiquée en toute discrétion. C’est l’omerta même si des bruits de couloir font état d’une pratique très en vogue au Sénégal.

SOURCE : LESOLEIL.SN

O commentaire

Laisser un commentaire