Ces banquiers qui murmurent à l’oreille des gouvernements

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Économie

Congo, Ukraine, Grèce, Argentine… Les Etats font appel à des banques conseils depuis les années 70. Cette activité, qui comprend les restructurations de dette, l’aide au financement et à la notation, le pilotage des politiques macroéconomiques, diffère de la banque traditionnelle.

Plus de 20 millions d’euros. La somme versée par la Grèce à Lazard en 2012 a scandalisé des députés. Assister un pays en faillite ne rend jamais populaire, même si on l’a contribué à effacer 100 milliards de dette. Les banques qui effectuent ces missions de conseil auprès des gouvernements occupent une place à part dans le monde de la finance. Si Lazard domine, Rothschild commence à se faire un nom. Loin derrière, de petites boutiques se livrent une rude concurrence.

Un marché créé par la «troïka »

La genèse du métier remonte à 1975. Pour la première fois, des banques d’investissement, Kuhn Loeb (rachetée par Lehman Brothers), SG Warburg et Maison Lazard approchent un Etat. Leur client : l’Indonésie, fragilisée par les déboires du pétrolier Pertamina. Le business décolle. Les cas de pays aux abois se multiplient. En 1982, d’après un article du « New York Times », le trio « Warburg-Lazard-Kuhn » a déjà une dizaine de mandats à son actif. Les commissions de la « troïka » s’élèvent à 1 ou 2 millions de dollars. En outre, le conseil n’est pas une activité risquée pour leur bilan. Merrill Lynch, Salomon Brothers, First Boston ou d’autres se lancent, malgré les critiques de la Banque Mondiale et des créanciers des Etats.

« Les banques de la « troïka » n’avaient pas d’activités de marché et n’étaient donc pas en situation de conflit d’intérêts, explique Michèle Lamarche, figure du conseil aux gouvernements chez Lazard. Nous sommes la seule maison à avoir conservé ce positionnement ». Unique survivant de la « troïka », l’établissement cultive cet héritage. Matthieu Pigasse, le PDG de Lazard Paris, rappelle que la banque a participé à « toutes les transactions qui ont structuré l’histoire de la dette , comme les Brady bonds, l’Initiative Pays Pauvres Très endettés ou les conversions en equity ».

Passage par la Harvard Kennedy School

Les barrières à l’entrée sont-elles insurmontables ? « Ce n’est pas un métier dans lequel on peut improviser. Le conseil macroéconomique suppose d’avoir d’anciens hauts fonctionnaires, des spécialistes de la notation, des économistes, etc », insiste Matthieu Pigasse. Beaucoup chez Lazard sont passés par la prestigieuse Harvard Kennedy School. La banque s’appuie sur les compétences de personnalités issues de grandes institutions. Exemples : Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre des Finances du Nigéria et numéro 2 de la Banque Mondiale, ou Jorg Asmussen, qui a travaillé pour le gouvernement allemand et la Banque centrale européenne.

Entre deux maisons réputées, le prix peut bien sûr être un argument pour décrocher un contrat. Le relationnel aussi. Anne-Laure Kiechel, qui a quitté Rothschild en début d’année , a été désignée conseil de la Grèce en 2017, après deux mandats de Lazard. La banquière a noué une relation privilégiée avec l’actuel ministre des Finances grec. Elle donne des gages. Elle a par exemple choisi d’assister au « Davos » saoudien fin 2018, alors que le royaume était sous le feu des critiques suite à l’affaire Khashoggi.

Quand on accompagne l’histoire, on doit aussi savoir composer avec ses soubresauts. En mars 2014, Bozidar Djelic, en charge de l’Europe centrale et de l’est chez Lazard, n’a pas hésité à sauter dans un avion pour Kiev. Le banquier serbe a débarqué au ministère des Finances pour discuter de la dette de l’Ukraine, alors que la Crimée allait bientôt être annexée. L’audace a payé. Un an plus tard, Lazard a remporté l’un de ses plus beaux contrats de restructuration de dette.

Isabelle Couet et Anne Drif
lesechos

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