Comprendre la crise politique actuelle en Guinée-Bissau

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Dans la nuit du 8 mars 2019, précisément deux jours avant les élections législatives en Guinée-Bissau, la police judiciaire Bissau Guinéenne, dans une opération hautement secrète, intercepte et arrête un camion à Bissau. Dans une attitude surprenante, le Président de la République, José Mà¡rio Vaz, tente d’obtenir de la direction de la police judiciaire la libération du camion. Le camion n’a pas été libéré. Il y avait dedans 800 kilos de cocaïne.

On soupçonne l’implication du fils aîné du Président de la République dans cette affaire et l’existence d’une quantité importante de drogue encore cachée dans le pays. Des rumeurs ont rapidement circulé selon lesquels la drogue saisie était destinée à financer la campagne électorale d’un parti politique, le MADEM G15. A ce jour, cette suspicion n’a pas été confirmée. Cependant, il y a de bonnes raisons de croire en la possible implication d’éléments de ce parti dans le trafic de drogue. Il y a quelques années, plus précisément en 1994, Braima Camarà¡, l’actuel coordonnateur de MADEM, a été incarcéré dans une prison de Porto, au Portugal, pour trafic de drogue.

Depuis lors, bien qu’il se présente comme un homme d’affaires, beaucoup le soupçonnent d’être profondément attaché au monde de la drogue. Depuis 2016, Braima Camarà¡ est à la tête d’un groupe de députés dissidents du PAIGC qui, dans le cadre d’une alliance avec le PRS et le Président de la République, et à la suite d’un coup de palais, a pris les relais du pays. Au cours des trois dernières années, cette alliance politique a dirigé la Guinée-Bissau comme elle veut.

La Constitution a été systématiquement violée, les fondements de l’Etat de droit démocratique ont été remis en cause, la justice affaiblie et le tissu social déchiré. Le groupe a tout fait pour que les dernières élections législatives n’aient pas lieu. Cependant, le 10 mars 2019, ce que craignaient José Mà¡rio Vaz et Braima Camarà¡ s’est produit. Les électeurs ont renouvelé leur confiance au PAIGC pour diriger le pays. Trois mois après les élections, malgré l’existence d’une majorité parlementaire claire et de décisions judiciaires définitives sur le processus de composition du bureau du Parlement, José Mà¡rio Vaz refuse de nommer le Premier ministre, en violation aberrante de ses obligations constitutionnelles. N’ayant aucune justification plausible pour la non-nomination du Premier ministre, José Mà¡rio Vaz reste enfermé dans son palais et ne dit rien.

Les organisations de la société civile, les groupes de bonne volonté, les organisations internationales et les partenaires de la coopération multilatérale et bilatérale appellent tous à la formation dans les meilleurs délais d’un gouvernement qui respecte la volonté populaire exprimée lors des scrutins. Mais José Mà¡rio Vaz n’écoute personne. Ceci, à un moment où le pays s’effondre à l’œil nu. Les finances publiques sont presque en faillite, les salaires ne sont plus payés à temps, la santé publique est en détresse, l’année scolaire est pratiquement nulle et la campagne de la noix de cajou (le principal produit d’exportation du pays), connaît de grandes difficultés.

Qu’y a-t-il derrière cette attitude inquiétante du président de la Républiqué C’est la question que tout le monde se pose avec perplexité. Quelque chose d’extrêmement grave doit se passer. José Mà¡rio Vaz renforce à chaque jour l’impression que le pays a été pris en otage par des intérêts mesquins et qu’il ne sait plus quoi faire pour le retirer de l’imbroglio dans lequel il l’a mis. Il continue à agir en tant que chef de clan, et non en tant que Président de la République, lié à des intérêts obscurs avec lesquels il a décidé de se composer. La complicité entre José Mà¡rio Vaz et Braima Camarà¡ souligne la forte suspicion d’une relation marquée entre le trafic de drogue et la politique en Guinée-Bissau.

Rien ne semble justifier cette prise en otage du pays par ces deux hommes, si ce n’est pas un lien avec des affaires obscures, dont le pilier central serait le trafic de drogue. Il semblerait que la campagne électorale de MADEM a été financée en partie avec de l’argent de la drogue. Comment payer des dettes de campagne sans contrôle de l’appareil administratif de l’Etat? C’est cette complicité qui explique également leur combat pour que Braima Camarà¡, malgré son parcours nébuleux, soit forcément acceptée comme deuxième Vice-Président du Parlement.

C’est pour satisfaire les intérêts d’un gang compromis avec le trafic de drogue que José Mà¡rio Vaz fera tout pour ne pas laisser le PAIGC exercer le pouvoir qui lui a été octroyé par le peuple. Il va inventer n’importe quel prétexte pour dire que le PAIGC n’a pas de conditions pour diriger le pays; il va refuser le candidat du PAIGC au poste de Premier ministre, ou bien il va refuser les noms proposés pour le gouvernement; il dira que le PAIGC ne lui a pas présenté un gouvernement suffisamment inclusif; ou bien il dira (sans pouvoir le prouver, bien sûr) qu’il existe une nouvelle majorité au Parlement. C’est- à-dire, il dira ce qu’il veut – qu’il aurait dû pleuvoir et qu’il n’a pas plu, que le soleil ne s’est pas levé ou bien que la lune est recouverte de nuages – tout cela pour que le PAIGC n’exerce pas le pouvoir. Aujourd’hui, tous les patriotes Bissau Guinéens ont le devoir de s’unir pour sauver le pays.

La communauté internationale, en particulier la CEDEAO, a une responsabilité. Elle a accompagné toute la crise politique et a soutenu l’organisation des élections. La consolidation d’un régime associé au trafic de drogue en Guinée-Bissau aura des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la sous-région. Il est temps que la CEDEAO achève son travail, en forçant le Président de la République à nommer le gouvernement conformément aux résultats des élections.

Wellington Calasans

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